Introduction
La manière dont l’Internet est gouverné a fait l’objet de débats considérables dès ses premiers jours. En effet, la manière dont les diverses parties prenantes collaborent pour gérer cette ressource globale importante a un impact sur la nature de l’Internet en tant que plateforme globale digne de confiance pour l’innovation, la créativité et la liberté d’expression. L’Internet est un réseau de réseaux décentralisé et ceux qui en dépendent aident à définir ses politiques.
Alors que l’Internet a évolué à partir d’un certain nombre de projets de recherche financés par les gouvernements, des universitaires et des représentants d’organisations du secteur privé ont mené la majorité de son développement au départ. Depuis le tout début, la gestion de l’Internet et des ressources globales de l’Internet (par ex. le système des noms de domaines ou DNS) ont largement dépendu d’une collaboration de bas en haut et de la participation directe des personnes intéressées et concernées par l’impact des décisions s’y rapportant.
Au fil des années, cette approche de gestion décentralisée et communautaire a soutenu l’incroyable croissance qui a défini le succès de l’Internet et qui reflète les choix de conception à l’origine de la communauté technique pour l’adoption et l’implémentation des normes et standards techniques de l’Internet. Dès 2005, ce que l’on appelait traditionnellement la coordination par le secteur privé, de « bas en haut », a évolué pour devenir le modèle « multi acteurs» de gouvernance de l’Internet qui existe aujourd’hui.
Considérations clés
La nature décentralisée de l’Internet signifie qu’il n’existe aucune autorité centralisée unique qui gouverne la gestion de l’Internet. Au contraire, l’Internet est gouverné d’une manière décentralisée et collaborative qui assure que les problèmes peuvent être résolus au niveau le plus proche de leur origine.[1] Dans ce contexte, le système de prise de décisions décentralisé de l’Internet est semblable au principe de subsidiarité,[2] dans lequel les problèmes sont gérés au mieux à un niveau compatible avec celui où la solution s’applique.
Les débuts de la gouvernance multi acteurs de l’Internet
En 2003 et 2005, des représentants des gouvernements, de la communauté technique, de la société civile et du secteur privé se sont rassemblés au Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) où ils ont adopté l’Agenda de Tunis pour la société de l’information [3]. L’Agenda de Tunis a adopté une définition pratique de la gouvernance de l’Internet :
« …l’élaboration et l’application par les États, le secteur privé et la société civile, chacun selon son rôle, de principes, normes, règles, procédures de prise de décision et programmes communs propres à modeler l’évolution et l’utilisation de l’Internet. »
Cette définition reconnait les rôles et responsabilités de chaque groupe de parties prenantes et souligne l’importance de la collaboration lors de la recherche de solutions dans l’intérêt de la croissance et du développement de l’Internet; on l’appelle aussi le modèle multiacteurs. [4]
Le modèle multi acteurs s’est révélé essentiel pour le développement de l’Internet. En plus d’être adopté de plus en plus à un niveau institutionnel par des groupes tels que l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et le Conseil de l’Europe, il est devenu un modèle quasi-officiel pour les discussions sur diverses questions. Dans des domaines tels que la sécurité, la confidentialité et les droits de l’Homme, il est clair qu’aucun point de vue unique ne peut résoudre des problèmes transfrontaliers et multidimensionnels. Au contraire, une approche plus collaborative et multi acteurs utilisée pour s’attaquer aux problèmes globaux liés à l’Internet, tels que ceux sur la sécurité avec le courrier indésirable et les botnets, est en train de devenir rapidement une bonne pratique.
La collaboration multi acteurs aux niveaux global et local
Dans un véritable esprit collaboratif, un groupe de diverses parties prenantes travaille en collaboration plus étroite que jamais auparavant pour s’attaquer aux problèmes clés de l’Internet. Ce fait est significatif, car il établit un niveau d’inclusion que les formes de gouvernance traditionnelles ne montrent pas souvent.
Plus spécifiquement, dans le contexte de la gouvernance de l’Internet, la manifestation de la participation multiacteurs a fait ses preuves depuis longtemps sous la forme du Forum sur la gouvernance de l’Internet (FGI) [5] , une conférence annuelle sous les auspices des Nations Unies (ONU). Le FGI n’a aucun pouvoir de décision, mais il a le pouvoir de réunir les acteurs pertinents afin qu’ils échangent leurs opinions et élaborent de meilleures pratiques. Il permet de donner forme aux discussions et d’influencer les politiques de l’Internet à un niveau national, régional et international. Les FGI nationaux et régionaux ont fleuri ces dernières années et ont prouvé leur utilité dans le partage des meilleures pratiques entourant des problèmes concrets tels que le courrier indésirable, la protection des enfants en ligne et les points d’échange Internet. Ils se sont aussi rendus utiles en exposant les parties prenantes locales et régionales aux problèmes liés à l’Internet et en leur fournissant les connaissances dont ils ont besoin pour les résoudre. Par ailleurs, un résultat fréquent des FGI locaux est le développement de dialogues multi acteurs locaux qui continuent après les évènements eux-mêmes.
Le modèle multi acteurs a été adopté pour la réunion de haut niveau de NETmundial d’avril 2014[6] qui a eu pour résultat La Déclaration du NETmundial de São Paulo, un document sans engagement basé sur un processus inclusif, ouvert et participatif impliquant des milliers de parties prenantes du monde entier.
Défis
La gouvernance de l’Internet se caractérise par la diversité des acteurs, questions et processus qui interagissent et se chevauchent par delà les juridictions. Une collaboration efficace dans ce contexte doit surmonter un certain nombre d’obstacles.
Des processus de travail décentralisés
La structure décentralisée de l’écosystème de gouvernance de l’Internet implique que les divers problèmes soient traités dans divers endroits et se résolvent au mieux au niveau le plus proche de leur origine.
L’un des défis de l’approche décentralisée est que la vaste gamme de forums globaux, régionaux et locaux dans lesquels les problèmes sont discutés exige du temps et des ressources pour suivre et participer. En plus de ces réunions face à face, les discussions multi acteurs entre réunions et évènements sont souvent intenses et exigent du temps et des efforts pour parvenir à des contributions significatives.
De nombreux groupes de parties prenantes relèvent ce défi en coordonnant leur participation aux forums et initiatives. De plus, certaines initiatives et certains forums adoptent des politiques d’information ouverte et offrent des possibilités de participation à distance. La disponibilité ouverte de documentation et de discussions en ligne, plus la possibilité de participation à distance aident à relever les défis présentés par les processus décentralisés.
Rôle des gouvernements
Une conversation clé concernant cet environnement diversifié et décentralisé se rapporte au rôle des gouvernements. Les gouvernements ont des responsabilités importantes d’intérêt public, des politiques établies qui influencent l’ensemble de l’environnement de l’Internet, et ils apportent des considérations importantes aux discussions. Le dialogue sur la participation des gouvernements à la gouvernance de l’Internet est crucial.
Par exemple, l’ Agenda de Tunis reconnait que les gouvernements jouent un rôle important dans la construction d’une société de l’information centrée sur les personnes, inclusive et orientée sur le développement. De même, le Groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet (GTGI) a identifié un ensemble de rôles et responsabilités pour les gouvernements allant de la supervision à la promotion du renforcement des capacités et à la politique de promotion de la recherche et du développement des technologies et des normes.[7]
Deux défis fondamentaux en ce qui concerne le rôle du gouvernement font l’objet d’un débat dans l’Agenda de Tunis : la nécessité pour les gouvernements de s’adapter à la diversité et à la multiplicité des voix dans le modèle multi acteurs et la compréhension d’un concept de gouvernance qui n’est pas uniquement limité aux gouvernements, mais qui s’étend à une vaste gamme de parties prenantes, y compris à des acteurs qui ne représentent pas l’État.
Certains corps étatiques ont embrassé le modèle multi acteurs de la gouvernance de l’Internet comme moyen de développer des solutions efficaces et collaboratives aux défis de l’Internet à la fois globaux et locaux. Toutefois d’autres restent moins à l’aise avec l’approche multi acteurs.
Complexité des problèmes
Les défis posés par l’Internet peuvent traverser les limites géographiques, sectorielles et technologiques. La Neutralité du Net et la cybersécurité, par exemple, comportent des aspects économiques, sociaux, légaux et techniques qui impliquent des acteurs de multiples juridictions. Pour s’attaquer à ces problèmes efficacement, les parties prenantes doivent posséder une vaste gamme de compétences et de connaissance, y compris la capacité à collaborer avec les experts de l’industrie, qu’ils soient décideurs politiques, technologues, entrepreneurs ou fonctionnaires.
La technologie évolue vite, mais les politiques officielles et les procédures légales peuvent changer lentement. De plus, les modèles traditionnels de prise de décision, comme le vote, peuvent avoir pour résultat des décisions qui sont moins adaptées à l’ensemble plus large des préoccupations légitimes et raisonnables, surtout celles soulevées par des intérêts minoritaires. La poursuite du consensus assure que toutes les parties intéressées sont impliquées dans la prise de décisions dont la nature produit des résultats efficaces.
L’établissement de consensus a été historiquement la fondation de la gouvernance technique, comme illustré par le credo de l’Internet Engineering Task Force (IETF) : « Nous croyons en un consensus approximatif et en l’exécution du code ». C’est cette culture qui a permis à la communauté de l’IETF de soutenir le rythme des avances technologiques et de produire des normes qui facilitent la croissance de l’Internet. De même, les institutions qui gèrent certaines questions de politiques publiques, comme l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), ont également adopté le consensus comme méthode de travail.
Le consensus facilite les solutions qui satisfont aux divers besoins de l’environnement à grande vitesse de l’Internet, et il inverse la structure de gouvernance de haut en bas pour la rendre de bas en haut.
Principes directeurs
Les principes directeurs suivants sont recommandés pour la gouvernance de l’Internet :
1 Participation ouverte, inclusive et transparente. La participation au processus de gouvernance de l’Internet de parties prenantes intéressées et informées, dans leurs rôles et responsabilités respectifs, est nécessaire pour assurer que les résultats sont à la fois efficaces et bien acceptés. Elle assure également que les parties prenantes intéressées puissent participer directement au travail et aient accès à ses résultats.
2 Prise de décisions basée sur le consensus. Les processus d’élaboration des politiques publiques doivent être informés à la fois par l’expérience pratique et par l’expertise individuelle et collective d’un ensemble de parties prenantes. Il faut parvenir aux décisions au moyen de processus responsables basés sur le consensus.
3 Gestion collective. Pour assurer la sécurité, la stabilité et la résilience sans failles de l’Internet, les structures et les principes de gouvernance doivent être développés dans un environnement de forte coopération parmi toutes les parties prenantes, chacune contribuant par son propre savoir-faire.
4 Approches pragmatiques et basées sur les faits. Les discussions, débats et décisions sur la gouvernance de l’Internet doivent être informées par une information objective et empirique, et en dépendre.
5 Volontariat. Dans le domaine du développement des politiques techniques de l’Internet, le volontariat signifie que le succès est déterminé par les utilisateurs et le public plutôt que par une autorité centrale.
6 Innovation sans permission. La croissance remarquable de l’Internet et l’explosion d’innovation et d’utilisation de l’Internet qui a suivi sont un résultat direct du modèle ouvert de la connectivité à l’Internet et du développement des normes techniques. Chacun doit être en mesure de créer une nouvelle application sur l’Internet sans avoir à obtenir l’approbation d’une autorité centrale. Les arrangements de gouvernance de l’Internet ne doivent pas contraindre ou règlementer la capacité des personnes ou des organisations à créer et utiliser de nouvelles normes ou applications ou de nouveaux services.
L’écosystème Internet d’aujourd’hui est basé sur les principes fondamentaux de l’Internet lui-même, et tire sa force de la participation d’une vaste gamme d’acteurs qui utilisent des processus ouverts, transparents et collaboratifs. La coopération et la collaboration restent essentielles pour l’innovation et la croissance continuelles de l’Internet.
Ressources supplémentaires
L’Internet Society a publié plusieurs articles et du contenu supplémentaire en rapport avec cette question. Ils sont disponibles gratuitement sur le site Internet de l’Internet Society.
> Page sur la gouvernance de l’Internet publiée par l’Internet Society, http://www.internetsociety.org/what-we-do/internet-issues/internet-governance.
> Calendrier de la gouvernance de l’Internet, http://www.internetsociety.org/igtimeline.
> Trousse à outils des évènements sur la gouvernance de l’Internet, par l’ISOC, https://www.internetsociety.org/blog/2015/07/isoc-internet-governance-event-toolkit-bringing-the-discussions-to-the-people.
> L’histoire de la gouvernance de l’Internet, http://www.internetsociety.org/history-internet-governance.
> Développement de l’Internet et gouvernance de l’Internet en Afrique, http://www.internetsociety.org/doc/internet-development-and-internet-governance-africa.
Notes
[1] Pour une vue générale des entités impliquées dans la gestion de l’Internet, voir Écosystème Internet, http://www.internetsociety.org/who-makes-internet-work-internet-ecosystem.
[2] La subsidiarité est le principe selon lequel les décisions doivent toujours être prises au niveau le plus bas possible ou au plus près de l’endroit où elles produiront leur effet. (Cambridge University Press, 2015, http://dictionary.cambridge.org/us/dictionary/english/subsidiarity)
[3] L’Agenda de Tunis pour la société de l’information, http://www.itu.int/wsis/docs2/tunis/off/6rev1.html.
[4] Bien qu’ils aient des définitions stables, les termes gouvernance de l’Internet et multi acteurs peuvent être difficiles à comprendre quand ils sont traduits en d’autres langues à cause du manque de mots équivalents. Pour favoriser la pleine compréhension, il est recommandé que chaque mention de ces termes s’accompagne d’une description.
[5] Forum sur la gouvernance de l’Internet, http://www.intgovforum.org/cms/. .
[6] NETmundial, http://netmundial.br/.
[7] Rapport du groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet,http://www.wgig.org/docs/WGIGREPORT.pdf.