Introduction
L’Internet comprend des milliers de réseaux qui sont des propriétés indépendantes gérées et exploitées indépendamment et qui se connectent entre eux pour créer l’Internet global. Pour échanger des données entre utilisateurs sur l’Internet, les réseaux individuels établissent des connexions directes entre eux, ainsi que des connexions indirectes par l’intermédiaire d’autres fournisseurs qui transportent ces données. Le but global de l’interconnexion est d’assurer que le contenu et les données puissent être échangés entre les utilisateurs finaux d’une manière fiable, efficace et économiquement équilibrée. L’interconnexion sur l’Internet est réalisée au moyen d’accords volontaires et négociés indépendamment entre les opérateurs de réseaux, qui s’emploient à convenir où et selon quels termes ils se connecteront entre eux.
Ce modèle d’accords d’interconnexions négociés en toute liberté produit des bénéfices à la fois techniques et économiques. L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) note, par exemple, que le modèle Internet d’interconnexion et d’échange du trafic a eu pour résultats des tarifs plus bas, une meilleure efficacité et plus d’innovation, tout en aidant à attirer l’investissement nécessaire pour faire face à la demande croissante de l’Internet.[1] Ces bénéfices ont été réalisés sans nécessiter ni une planification de haut en bas, ni un règlement international. La souplesse de ce système permet aux réseaux de conclure des accords entre eux en se basant sur l’évolution de leurs besoins et elle a aidé les réseaux individuels, ainsi que l’ensemble de l’Internet, à s’adapter aux tendances nouvelles et en évolution de l’utilisation de l’Internet.
Les termes commerciaux d’une relation d’interconnexion se divisent en général en deux grandes catégories : le transit et l’appairage[2]
1 Le transit est typiquement un accord par lequel le réseau de transit accepte de fournir à ses clients la connectivité au reste de l’Internet moyennant des frais. Les fournisseurs de transit servent d’intermédiaires communs pour les milliers de réseaux sur l’Internet qui devraient autrement se connecter directement entre eux. Certains fournisseurs de transit exploitent des réseaux internationaux qui peuvent transporter des données à travers le monde. Ceci permet au client qui achète le transit d’atteindre de nombreux points finaux sans avoir à se connecter physiquement avec eux et à négocier des accords avec chacun d’eux.
2 L’appairage est typiquement un accord par lequel deux réseaux conviennent d’un échange mutuel de trafic dans les deux directions avec les usagers de leurs propres réseaux (mais pas par leurs liens de transit), généralement « sans échange de factures »[3] ou gratuitement. Les accords d’appairage réduisent le volume de trafic qu’un réseau doit envoyer par son fournisseur de transit en amont, ce qui réduit potentiellement le coût moyen de livraison du trafic. Pour faciliter l’appairage, de nombreux réseaux choisissent de construire des connexions vers divers points d’échange Internet (IXP) locaux, régionaux et globaux et d’y participer. Les IXP sont des endroits physiques où de nombreux réseaux différents se rencontrent pour l’appairage et l’échange de trafic au moyen d’une infrastructure commune de commutation.
Divers acteurs et réseaux de l’Internet cherchent à s’interconnecter. Parmi eux :
> Les Fournisseurs d’accès à Internet (FAI) Les FAI sont propriétaires ou revendeurs d’installations qui fournissent l’accès à Internet à des utilisateurs finaux, particuliers ou entreprises. Les utilisateurs finaux des FAI consomment et produisent du trafic Internet.
> Les fournisseurs de transit régional/global. Ces acteurs fournissent généralement l’accès à l’Internet global pour les FAI et autres, leur permettant d’accéder aux réseaux distants. Ces réseaux couvrent en général de plus grandes distances que les FAI locaux.
> Les fournisseurs de contenu. Les fournisseurs de contenu sont les producteurs et distributeurs du contenu de l’Internet. Certains exemples comprennent les sociétés de média (qui distribuent les films, la musique ou les vidéos), les sociétés d’hébergement du Web, les réseaux de média sociaux et les sociétés de logiciels. Ces dernières années, de nombreux fournisseurs de contenu ont construit leurs propres réseaux de distribution ou ont choisi d’acheter les services de réseaux de livraison de contenu qui se spécialisent dans la distribution du contenu aux utilisateurs finaux.
> Les réseaux de livraison de contenu (CDN[4]). Le rôle d’un CDN est de distribuer du contenu de manière efficace et fiable pour le compte de ses clients primaires, les fournisseurs de contenu. L’objectif des CDN est de placer leur contenu aussi près que possible techniquement et commercialement de l’utilisateur final. Les CDN ont souvent des serveurs dans de nombreux centres de données dans le monde, ce qui facilite l’interconnexion avec les FAI qui sont près des utilisateurs finaux.
> Les gouvernements, sociétés privées et universités. Ces organisations utilisent souvent leurs propres réseaux de données et recherchent l’interconnexion avec d’autres réseaux afin de réaliser l’accessibilité globale sur Internet.
Les opérateurs de réseaux ont en général des relations d’interconnexion avec de nombreux joueurs différents et utilisent un mélange d’accords d’appairage et de transit dans le cadre de leurs stratégies globales d’interconnexion.
Défis
Le défi clé pour les décideurs politiques est de cultiver un environnement qui favorise une interconnexion de réseaux dynamique, efficace et souple. Les gouvernements peuvent avoir le leadership en s’assurant que leurs systèmes règlementaires et législatifs créent un environnement favorable plutôt que restrictif. Les marchés compétitifs offrent les meilleures opportunités aux parties pour trouver les partenaires d’interconnexion qui aideront à atteindre les objectifs des réseaux et à faire avancer les stratégies commerciales. Créer un marché compétitif pour l’accès aux réseaux, le transport de données métropolitain et national, la capacité internationale, et encourager le développement des IXP sont des moyens clés pour améliorer l’environnement local et régional d’interconnexion d’un pays.
Alors que de nombreux marchés en développement et émergeants ont réussi à faire croître les réseaux d’accès local et la pénétration de l’Internet, de nombreux pays manquent encore de centres de données et de contenus hébergés localement auxquels les FAI peuvent se connecter localement.[5] Bien que les réseaux nationaux puissent être interconnectés (par exemple via un IXP local), si leurs utilisateurs interagissent surtout avec des utilisateurs et des données à l’extérieur de leur région locale, une grande proportion de leur trafic Internet utilise encore pour le transit des liens internationaux onéreux. Pour relever ce défi, les gouvernements peuvent promouvoir le développement de contenu local, encourageant ainsi le développement de centres de données et l’hébergement local et attirant des réseaux de diffusion de contenu (CDN) dans le pays.
Les opérateurs de réseaux doivent comprendre les aspects économiques, commerciaux, techniques et opérationnels de l’interconnexion à l’Internet pour réussir à développer et à gérer les stratégies d’interconnexion. Toutefois, dans de nombreux marchés en développement et émergeants, les opérateurs sont relativement novices pour penser à une stratégie d’interconnexion comme moyen d’améliorer les aspects techniques et commerciaux de leurs services. Les opérateurs de réseaux doivent profiter des opportunités de renforcement des capacités pour améliorer leurs connaissances et compétences d’appairage et d’interconnexion.[6]
Face aux coûts de connectivité élevés, certains gouvernements ont proposé que des règlements internationaux soient mis en place pour réguler l’interconnexion de l’Internet. Beaucoup de ces propositions ont suggéré d’imposer des arrangements du type « l’expéditeur paie » ou « partage des coûts » qui sont communs dans le marché traditionnel de la téléphonie.[7] Selon notre analyse[8] de telles propositions risquent de fragmenter l’Internet et de produire des impacts négatifs considérables dans les pays en développement. A contrario, les données ont montré[9] que la promotion de marchés et d’IXP compétitifs et d’environnements politiques favorables ont un impact positif sensible sur la réduction des coûts, y compris pour la connectivité internationale.
Principes directeurs
Une interconnexion Internet large et efficace est critique pour la croissance continue et la stabilité de l’Internet local, régional et global. Les gouvernements ont un rôle dans la création d’environnements qui assurent les choix et la souplesse pour l’interconnexion des réseaux, tout en éliminant aussi les barrières artificielles. Les principes directeurs comprennent :
> La création d’un environnement favorable en adoptant des politiques qui encouragent et facilitent l’interconnexion des réseaux. L’environnement doit encourager les opérateurs de réseaux à construire, louer ou acheter l’infrastructure nécessaire pour se connecter avec les autres (y compris par delà des frontières), et à conclure des accords d’appairage et de transit négociés librement avec des règles commerciales viables à des points d’interconnexion de leur choix.
> Éliminer les monopoles imposés par le gouvernement sur l’infrastructure de l’Internet et l’échange de trafic, y compris les monopoles sur les stations d’atterrissage des câbles, les passerelles internationales, la capacité transfrontalière, et les dorsales locales/régionales. Les politiques connexes doivent aussi encourager l’investissement à la fois domestique et étranger dans l’infrastructure et les services de l’Internet.
> Travailler avec les homologues régionaux et les organisations régionales pour implémenter des cadres de politiques régionales qui soutiennent l’interconnexion Internet transfrontalière et font progresser l’homogénéisation des régimes de licences transfrontaliers.
> Encourager le développement des IXP pour faciliter l’appairage, réduire les coûts d’exploitation des réseaux, améliorer la performance des réseaux et renforcer la résilience.
> Encourager le développement de contenu local et d’infrastructures de centres de données, y compris des centres de données indépendants des opérateurs (qui ne sont pas exploités par les FAI ou les fournisseurs de transit).
> Encourager les opérateurs de réseaux à participer aux opportunités de renforcement des capacités dans le but d’augmenter leur connaissance des aspects économiques, commerciaux, techniques et opérationnels de l’interconnexion de l’Internet.
Ressources supplémentaires
L’Internet Society a publié plusieurs articles et du contenu supplémentaire en rapport avec cette question.Ils sont librement accessibles sur le site Web de l’Internet Society.
> Interconnexions de l’Internet : les propositions pour un nouveau modèle des interconnexions laisse à désirer, http://www.internetsociety.org/internet-interconnections-proposals-new-interconnection-model-comes-short
> UNECA CODIST–II Rapport de l’atelier : aspects juridiques et règlementaires de l’interconnexion, http://www.internetsociety.org/uneca-codist-ii-workshop-report-legal-and-regulatory-aspects-interconnection
> Lever les obstacles au développement de l’Internet en Afrique : suggestions pour améliorer la connectivité. Anglais : http://www.internetsociety.org/doc/lifting-barriers-internet-development-africa-suggestions-improving-connectivity
> La promotion du contenu local pour développer l’écosystème Internet. Anglais : http://www.internetsociety.org/doc/promoting-local-content-hosting-develop-internet-ecosystem
> Évaluation de l’impact des points d’échange Internet (IXP)—étude empirique sur le Kenya et le Nigeria. http://www.internetsociety.org/ixpimpact
Notes
[1] Article sur l’économie numérique de l’OCDE No. 207, « Échange de trafic sur l’Internet : développements du marché et défis des politiques. »
[2] Des variations commerciales existent à l’intérieur des grandes catégories de transit et d’appairage, comme le transit partiel et l’appairage payé. Une discussion en détail de ce sujet sort du contexte de cet article d’introduction, mais vous trouverez des informations supplémentaires sur http://www.drpeering.net.
[3] « Appairage sans factures » signifie qu’aucune des parties ne paye l’autre pour l’échange de trafic d’appairage entre les deux réseaux
[4] CDN = Content Delivery Network
[5] Voir le rapport de l’Internet Society, Encourager l’hébergement de contenu local pour développer l’écosystème Internet, pour une discussion plus étendue de la dynamique du contenu hébergé localement.
[6] Parmi d’autres ressources de renforcement des capacités, beaucoup d’organisations et de groupes de la communauté technique de l’Internet (comme les Registres Internet régionaux, les groupes d’opérateurs de réseaux locaux et régionaux, l’Internet Society, le Network Start-up Resource Center et la Packet Clearing House, entre autres) offrent une formation gratuite ou d’un coût modeste sur divers aspects de l’interconnexion de l’Internet, l’appairage et l’échange de trafic.
[7] Par exemple, ITU-T D.50 Supplément 2, Section 3.7, discute des approches de « partage des coûts » pour la connectivité internationale.
[8] Voir l’article de l’Internet Society, Interconnexion de l’Internet : Les propositions pour un nouveau modèle d’interconnexion laissent à désirer.
[9] Voir les rapports de l’Internet Society, Lever les obstacles au développement de l’Internet en Afrique : suggestions pour améliorer la connectivité, et Évaluation de l’impact des points d’échange de l’Internet (IXP) : étude empirique sur le Kenya et le Nigeria.