Mode de fonctionnement du réseau Internet 4 décembre 2020

Résumé : Considérations pour mandater les interfaces ouvertes

Des gens partout dans le monde dépendent d’Internet pour vivre leur vie et faire leur travail. Derrière la surface d’applications, les services en ligne dépendent de “l’interopérabilité”, la capacité des logiciels à fonctionner ensemble. C’est, par exemple, ce qui vous permet d’envoyer un document depuis le compte Outlook sur votre iPhone au Gmail d’un ami, d’éditer ensuite le document sur une tablette Samsung avant de le sauvegarder sur le cloud Alibaba et pour finir, de le poster sur Twitter en utilisant une application comme Hootsuite.

Alors qu’Internet est devenu de plus en plus crucial pour la vie de tous les jours et l’économie, et que la concurrence en ligne suscite des inquiétudes croissantes, il est de plus en plus question de mandater l’interopérabilité entre les services et les systèmes logiciels. L’interface technique requise pour parvenir à un tel résultat est souvent implicite, et l’un des principaux objectifs de cet article est de le rendre explicite et mettre en évidence ses implications.

Ce mandat d’interfaces ouvertes est important, car bien fait, il apporte des avantages économiques, sociaux et techniques, réduit le risque de défaillance du marché et stimule l’innovation durable. Mais s’il est mal fait, il peut menacer ces résultats et mettre en danger d’autres objectifs politiques, comme la vie privée, la sécurité et la résistance des systèmes.

Ce rapport vise à éclairer le débat au moment où les décideurs politiques élaborent une législation et une réglementation qui favorisent l’innovation technologique positive.

Arguments pour mandater les interfaces ouvertes

Les motivations principales pour mandater les interfaces ouvertes sont de permettre la portabilité des données, l’interopérabilité des services, et l’accès aux données entre les services. Elles ont toutes été présentées comme solutions potentielles à la concentration actuelle du pouvoir de marché parmi un petit nombre de grandes entreprises technologiques.

Une caractéristique clé de nombreux services en ligne est l’effet réseau où la valeur d’un service augmente en même temps que le nombre d’utilisateurs. C’est une force motrice derrière cette concentration de pouvoir puisque cela décourage les utilisateurs de se tourner vers d’autres services.

Les consommateurs devraient être en capacité de passer d’un fournisseur de service à l’autre avec peu, voire pas de friction, mais si le changement est trop coûteux, complexe ou difficile, le marché n’est pas ou est peu incité à offrir un choix et une valeur compétitifs. Le fait d’exiger légalement des mécanismes spécifiques pour la portabilité des données – la possibilité pour les utilisateurs de transférer leurs données d’un service à l’autre – est considéré comme une occasion de faciliter le processus de changement de fournisseur, d’élargir le choix des consommateurs et de rendre le marché plus concurrentiel.

L’interopérabilité des services permet aux utilisateurs de communiquer avec les utilisateurs d’un service différent, par exemple, entre WhatsApp et Signal. Cela permettrait les communications entre les réseaux d’utilisateurs et est vu comme une occasion d’atténuer certaines des conséquences négatives de l’effet réseau et de réduire l’impact négatif de la commutation.

Les partisans d’un accès ouvert aux données estiment que cela contribuera à atténuer les tendances actuelles de concentration du marché. Ils ont proposé, en particulier, des politiques comprenant des interfaces ouvertes obligatoires (y compris l’accès aux données) pour permettre l’interopérabilité entre les concurrents directs et pour autoriser des utilisations innovantes des données par les nouvelles entreprises qui entrent sur le marché.

Considérations pratiques

Tous ces résultats – l’interopérabilité des services, l’accès aux données et la portabilité des données – supposent l’existence d’une interface technique. Voici les considérations pratiques fondamentales :

  • Décrire le résultat prévu. Est-ce la mobilité des services (la capacité d’alterner entre deux fournisseurs de service qui offrent, d’apparence, le même service); les états et données partagés (une interface où les services peuvent partager leurs états et/ou données afin que les deux puissent traiter les mêmes informations de la même manière) ; ou la collaboration inter‑services (permettre une collaboration en temps réel entre les services) ?
  • Identifier le centre de contrôle. Cela pourrait être la substituabilité, quand un utilisateur final est capable de remplacer un service par un autre sans difficulté ; l’interopérabilité, quand deux utilisateurs avec des logiciels différents peuvent partager indépendamment des données, ou utiliser les mêmes services, sans avoir besoin de migrer vers des logiciels différents ; ou la collaboration, quand deux utilisateurs de logiciels interopérables peuvent travailler en temps réel sur la même tâche au même moment de manière productive.
  • Développer l’interface. Sur quel type de modèle devraient être basées les normes de réglementation pertinentes ? Un modèle basé sur les besoins est utilisé par les entreprises où de hauts degrés d’interopérabilité sont essentiels au fonctionnement et à la formation des marchés, comme dans l’industrie de la téléphonie mobile. Un modèle basé sur la mise en œuvre permet à un entrant précoce sur le marché ou un leader du marché d’innover privativement et d’apporter un nouveau produit sur le marché, tout en exposant une certaine forme d’interface ouverte qui, avec le temps, sera mise en œuvre avec de nouvelles capacités.

    Une manière de nécessiter l’ouverture sans engagement auprès d’un modèle ou d’un autre est de spécifier que les interfaces doivent être mises en œuvre comme sources ouvertes — publiées avec une licence qui permet aux autres de les utiliser, les améliorer et les partager, sous réserve des conditions de la licence. Les droits requis pour mettre en œuvre une interface ouverte et le logiciel qui s’en occupe doivent également être à disposition — en particulier quand cela concerne les droits de propriété intellectuelle.

  • Assurer des communications contrôlées, fiables et sécurisées. Puisque l’interface ouverte offre un point de contact entre les systèmes logiciels, il est important, dès le départ, de considérer son fonctionnement continu et de s’assurer qu’elle peut remplir ses objectifs prévus. Cela comprend les politiques d’utilisation et d’accès, ainsi que d’autres aspects opérationnels qui pourraient affecter son utilisation sûre et fiable, et qui pourraient devoir être adaptés pour répondre aux besoins changeants des parties concernées par l’interopérabilité. De mauvais choix dans un mandat d’interface ouverte pourrait entraîner de grandes différences de coût, de risque et même de faisabilité de la mise en conformité – il en résulterait des solutions très variables pour des raisons imperceptibles de l’extérieur. De plus, les considérations opérationnelles peuvent être “transformées en arme” pour restreindre artificiellement la concurrence.

Considérations politiques

  • L’impact sur les dynamiques de marché. En principe, une interface ouverte mandatée ne devrait pas désavantager les acteurs du marché sur le plan concurrentiel. Mais il n’est pas certain que l’imposition de l’interopérabilité renforce les efforts indépendants pour créer de nouvelles alternatives numériques ou, au contraire, facilite les acquisitions par les grands acteurs et, par conséquent, consolide encore davantage le marché. Les pressions commerciales et le fardeau administratif général pourraient également ne pas être durables pour de plus petits opérateurs. Par conséquent, si l’objectif est d’éviter l’exclusion de tout acteur du marché, un grand degré d’ouverture et d’intégration est essentiel tout au long de la mise en œuvre.
  • De la politique à la pratique. Transposer des objectifs de politique publique de haut niveau en mise en œuvre pratique d’une interface mandatée exige une réflexion approfondie sur l’élaboration de nouvelles normes, leur statut juridique et les exigences de divulgation des mécanismes existants. Par exemple, est-ce que les gouvernements devraient accroître les pouvoirs des régulateurs pour imposer des normes ouvertes mandatées qui favorisent la concurrence, comme proposé aux États-Unis, ou adopter l’approche de l’UE fondée sur le principe que les normes sont volontaires, mais que leur respect peut être exigé pour se conformer à certaines législations européennes ?
  • Objectifs contradictoires et conflits juridiques. Les conflits potentiels avec d’autres objectifs politiques et régimes juridiques constituent l’un des défis les plus complexes à relever pour mandater les interfaces ouvertes, d’autant plus que nombre des services en question opèrent à l’échelle mondiale et dans plusieurs juridictions. L’interopérabilité a créé certains des litiges juridiques les plus complexes autour de la propriété intellectuelle des logiciels, y compris des tentatives d’utiliser les brevets logiciels pour contrôler les interfaces de programmation d’applications (API). L’interopérabilité par le biais des API permettra de nouveaux flux de données, mais les décideurs politiques peuvent les limiter à leur propre juridiction, souvent à l’encontre des propositions visant à faciliter les flux de données mondiaux qui sont discutées à l’Organisation mondiale du commerce et incluses dans de nombreux accords commerciaux bilatéraux. De plus, certains accords commerciaux prévoient l’utilisation forcée de normes techniques comme obstacle à la localisation, ce qui pourrait affecter les mesures d’interopérabilité obligatoires.
  • Protéger la sécurité et la vie privée. La création d’une interface ouverte implique d’importantes considérations en matière de sécurité et du respect de la vie privée, qui doivent être prises en compte lors de l’évaluation de l’opportunité générale d’imposer des interfaces ouvertes. Les transferts de données devraient être étayés par des accords solides qui spécifient les périodes d’utilisation et de rétention des données, entre autres limites, et devraient établir clairement des accords de partage appropriés.

Les interfaces ouvertes obligatoires augmenteraient les points d’interconnexion au sein des systèmes techniques, ce qui pourrait accroître les dépendances, à mesure que les systèmes en aval deviennent de plus en plus dépendants de ceux en amont. Un accès obligatoire pourrait, en principe, avoir un impact positif sur le problème de dépendance en limitant le risque qu’un fournisseur en amont abuse de sa position mais la création d’un point de défaillance unique pourrait également menacer la sécurité et la vie privée.

En résumé

Les considérations pratiques et politiques donnent lieu à trois questions principales lors de la planification d’un mandat :

  • Faisabilité : Les exigences et les résultats attendus du mandat, y compris la manière dont il est créé, développé et contrôlé, et une évaluation des conflits juridiques potentiels au sein et entre les différents territoires et juridictions. La définition des exigences et des résultats attendus du mandat doit inclure une évaluation de la compatibilité technique et des conflits juridiques potentiels au sein et entre les juridictions.
  • Résultats inattendus : Il y aura des possibilités d’innovations et de services nouveaux, mais il est tout aussi important de tenir compte des conséquences négatives, telles que les obstacles potentiels au marché et la consolidation de la position d’un acteur dominant. Trouver la portée appropriée du mandat et les mécanismes de collaboration nécessaires pour traiter les problèmes à mesure qu’ils se présentent sera un facteur important de son succès.
  • Dépendances : Quelles sont les implications plus grandes pour l’écosystème technique et économique ? Tout mandat, qu’il s’agisse de régir une interface existante ou d’en créer une nouvelle, doit également être considéré comme un élément de base pour le fonctionnement des autres services. Tout comme l’interface pourrait ouvrir d’importantes possibilités, elle pourrait également devenir un élément d’infrastructure essentiel pour les services concernés.
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