Un tremblement de terre de magnitude 7,2 a frappé Haïti en août 2021, juste au moment où de nombreuses personnes commençaient leur journée. Pendant plusieurs jours, le tremblement de terre et ses répliques ont dévasté le pays, faisant plus de 300 morts, blessant des centaines d’autres, et rasant maisons, écoles et églises. Mais le point d’échange Internet d’Haïti s’est maintenu en ligne, assurant le fonctionnement d’Internet à un moment où le pays en avait le plus besoin.
La résilience de l’Internet face aux catastrophes naturelles a été une force motrice majeure pour le point d’échange Internet d’Haïti. Établi en 2009 comme l’un des premiers points d’échange Internet (IXP) des Caraïbes, il a connu une croissance régulière au fil des ans, ses membres passant de cinq à une douzaine, dont quatre des cinq fournisseurs d’accès Internet (FAI) du pays et le registre des noms de domaine d’Haïti, NIC.ht. Il a également attiré des serveurs de domaines et de routes locaux, ainsi que cinq grands réseaux de diffusion de contenu (CDN) : Akamai, Cloudflare, Google, Facebook et Netflix. L’équipement a cependant commencé à éprouver des difficultés face à l’augmentation du trafic. La situation menaçait de réduire à néant des années de collaboration et de travail acharné qui avaient fait le succès de l’échange, laissant pour compte les personnes qui en dépendent.
« Le trafic moyen passant par le IXP d’Haïti est d’environ 4 Go/s », explique Max Larson Henry, membre du conseil d’administration de l’Association haïtienne pour le développement des technologies de l’information et des communications (AHTIC), l’organisation à but non lucratif qui gère ce point d’échange local « Toutefois, nous ne disposons pas de suffisamment de ressources pour une gestion quotidienne ou plus intensive. Comme pour d’autres petits IXP, au fur et à mesure que nous nous développons, nous sommes confrontés à de plus en plus de défis pour assurer nos opérations et notre gestion quotidienne. »
L’IXP, pour continuer à prospérer, devait adopter une approche sur plusieurs fronts, et la communauté technique y collaborer.
De plus en plus fort
M. Henry est également vice-président du chapitre Haïti de l’Internet Society et membre fondateur de l’Association des points d’échange Internet d’Amérique latine et des Caraïbes (LAC-IX), qui bénéficie du soutien du LACNIC (Centre d’information sur les réseaux d’Amérique latine et des Caraïbes).
Grâce à une subvention de l’Internet Society, à laquelle s’ajoute le soutien de LACNIC et de Socium, l’IXP d’Haïti a pu acquérir et déployer davantage d’équipements, ainsi que des logiciels de gestion et des outils d’automatisation.
« Plus vous pouvez automatiser, mieux c’est », déclare M. Henry. « Cela permet de réduire le besoin en ressources humaines et de soutenir la durabilité et la robustesse du point d’échange… Grâce à la collaboration de l’Internet Society, nous avons également accès à un pool d’experts qui peuvent apporter leur soutien en cas de besoin. L’acquisition d’équipements est importante, comme l’assistance technique. La contribution de l’Internet Society est donc déterminante. »
« Grâce à ce nouvel équipement maintenant en place, nous nous sommes efforcés de rendre le point d’échange plus dynamique », déclare Jean Nahum Constant, responsable technique de la Fondation du réseau de développement durable, qui gère NIC.ht. Il est également membre du conseil d’administration du chapitre haïtien de l’Internet Society. « Ce qui nous importe le plus, c’est d’avoir un IXP doté d’une bonne infrastructure afin d’attirer davantage de membres… Pour pouvoir promouvoir le point d’échange de manière significative, notamment à l’échelle internationale, nous devons continuer à l’améliorer. »
Toujours mieux
L’IXP a également donné la priorité au renforcement des capacités, en particulier avec les normes pour la sécurisation du routage mutuellement agréées (MANRS), grâce à un financement assuré par le chapitre local de l’Internet Society et LACNIC. L’objectif est que tous les membres de l’IXP soient formés et respectent ces normes pour améliorer la sécurité du routage sur Internet.
M. Constant a commencé la formation MANRS en septembre 2021 et croit en l’importance de renforcer les capacités techniques locales. M. Henry est du même avis, ajoutant que le transfert de compétences aux jeunes ingénieurs qui feront avancer l’IXP à l’avenir est essentiel.
Parmi ces jeunes ingénieurs figure Louis Junior Bien-Aimé, qui travaille sur les configurations de l’IXP depuis 2018 et a suivi plusieurs séances de formation sur le MANRS et la sécurité Internet.
M. Bien-Aimé affirme que la formation est importante, mais que les performances de l’IXP se sont améliorées principalement grâce au nouvel équipement et à l’ajout des CDN. Il affirme que la latence pour ceux qui sont directement connectés au IXP a considérablement diminué, passant de 60 à 100 millisecondes (ms) à seulement 3 à 10 ms.
« Je ne pense pas que les membres échangent tout le trafic qui leur est possible ; ils sont toujours vigilants », déclare M. Bien-Aimé. « La plupart des gens se montrent réticents au changement. Cependant, je pense que le point d’échange leur procure de nombreux avantages. Le fait que les FAI locaux utilisent les CDN est bénéfique pour tout le monde. »
Davantage de sécurité
Selon M. Henry, il est également nécessaire de sensibiliser davantage au rôle de l’IXP dans la sécurité des données et à la nécessité de le protéger. « Nous devons protéger l’IXP, en tant qu’infrastructure Internet stratégique. Nous devons assurer sa sécurité dans notre écosystème et sécuriser adéquatement nos données. Il est également nécessaire d’avoir un centre de données neutre ainsi qu’une coordination globale de l’ensemble. »
M. Constant reconnait que la loi sur les télécommunications du pays datant de 1978 doit être actualisée car elle ne répond plus aux exigences de notre époque moderne.
M. Henry souligne que la Banque centrale dispose de son propre centre de données auquel elle se connecte par le biais de son ISP, que les banques sont connectées au même centre de données par le biais de l’IXP, ce qui permet d’héberger plus sûrement les données financières. Toutefois, il affirme qu’il convient de faire davantage pour accroître le contenu local, car le contenu de plusieurs organisations nationales est hébergé en dehors du pays, ce qui pose de sérieux problèmes en termes de protection des données et de résilience des infrastructures.
Le chapitre d’Haïti de l’Internet Society espère travailler avec le gouvernement pour faire valoir les avantages de l’IXP et la nécessité d’une législation. « L’État haïtien doit comprendre qu’il s’agit d’une mine d’or qu’il n’a pas encore exploitée », déclare M. Bien-Aimé.
Une résilience accrue
Dans un pays sujet aux catastrophes naturelles, un IXP augmente également la résilience.
« Disposer d’une interconnexion locale est très important, surtout en cas de catastrophe naturelle, car d’instinct, nous utilisons les réseaux sociaux ou Internet pour communiquer avec notre famille et nos amis afin de nous assurer qu’ils vont bien », explique M. Henry. Lors du tremblement de terre de magnitude 7,2 survenu en août 2021, certaines connexions Internet ont connu des coupures, mais les membres de NIC.ht et des IXP ont pu rester connectés.
« Les IXP peuvent jouer un rôle clé pendant les catastrophes naturelles », déclare Shernon Osepa, directeur des affaires et du développement des Caraïbes pour l’Internet Society. Il était en Haïti lors du développement de l’IXP lorsque l’ouragan Gustav a détruit la liaison internationale du pays et la plupart des infrastructures de télécommunications. Ce fut un coup dévastateur, mais grâce à l’IXP, certaines personnes ont pu continuer à communiquer et même à coordonner l’aide. « Nous devons rester concentrés sur la nécessité de développer des infrastructures de télécommunications et Internet résilientes, en particulier dans les environnements vulnérables, comme dans les Caraïbes, où des vies peuvent être épargnées », déclare M. Osepa.
Pour y parvenir, de nombreux membres de la communauté technique, des ingénieurs locaux aux décideurs politiques en passant par les organisations technologiques vont devoir s’engager et collaborer. Mais l’IXP d’Haïti est un exemple de ce qui peut être fait. Grâce au financement de l’Internet Society et d’autres organisations, il dispose désormais de nouveaux serveurs, de logiciels de gestion et d’outils d’automatisation, ce qui rend l’Internet en Haïti plus résistant pour les personnes qui en ont besoin.
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Droits d’auteur de l’image : Reynaldo Mirault