Évitons que l’Internet devienne un champ de bataille. L’Internet Society ne cesse de le répéter depuis des années. Nous avons récemment demandé aux parties prenantes de s’assurer que les sanctions imposées à la Russie à la suite de son invasion de l’Ukraine n’aient pas d’impact sur l’infrastructure mondiale de l’Internet.
Notre organisation n’est pas la seule. Les représentants du G7 ont formulé les mêmes recommandations, déclarant que l’accès à l’infrastructure Internet ne fait pas l’objet de sanctions et que les entreprises peuvent continuer à opérer dans ces secteurs en Russie. Nous espérons que toutes les autres nations, notamment toutes celles impliquées dans un conflit, appliqueront également ces dispositions.
Questions importantes
La guerre en Ukraine soulève un certain nombre de questions. Comment et pourquoi la guerre a-t-elle un impact sur l’Internet ? Sur quels types de données peut-on s’appuyer pour comprendre ce qui se passe ? La guerre aura-t-elle un impact durable sur la structure sous-jacente de l’Internet ?
Pour répondre à ces questions, nous avons utilisé les données recueillies par les organisations du monde entier et publié une série de billets de blog sur Internet Society Pulse. Voici ce que nous avons constaté.
- OONI Data: Looking For Anomalies and Blocks (24 mars – en anglais uniquement) : En utilisant les données collectées par notre partenaire de données, OONI, nous avons observé que le nombre d’anomalies sur les réseaux russes a augmenté dans les premiers jours de la guerre. Les anomalies sont des signes d’interférence potentielle du réseau, comme le blocage d’un site Web ou d’une application. Cela indique que de plus en plus de sites Web et d’applications en Russie étaient bloqués ou inaccessibles.
- QUIC vs TLS on Russian Networks (25 mars – en anglais uniquement) : TLS1.3 et QUIC sont deux protocoles utilisés pour le cryptage sur Internet. Vers la fin du mois de février, grâce aux données du Radar de Cloudflare, nous avons constaté que certains réseaux russes filtraient clairement le trafic QUIC, après quoi les navigateurs utilisaient généralement à nouveau TLS1.3. Nous avons émis l’hypothèse que le blocage de QUIC ferait partie d’un système que le gouvernement russe utilise en vue d’appliquer des filtres sélectifs aux contenus jugés inappropriés.
- Where Are Russian Networks Being Disconnected? (28 mars – seulement en anglais) : Au moment de l’application des régimes de sanctions, de nombreux fournisseurs ont interrompu leurs services à leurs clients russes, souvent en raison des sanctions économiques. Nous avons examiné la question en tenant compte des points d’échange Internet (IXP), car ceux-ci ont généralement un impact sur la latence, ainsi que sur le coût économique réel de l’envoi du trafic. Nous avons constaté que certains fournisseurs d’accès Internet (FAI) russes étaient déconnectés des principaux IXP. Ce faisant, le nombre de routes directes qu’ils pouvaient utiliser pour envoyer du trafic a été réduit, ce qui a eu un impact sur la latence et a augmenté les coûts de transit.
- A Small Hijack of Twitter’s Space and the Role of RPKI (29 mars – en anglais uniquement) : Un opérateur de réseau russe a brièvement accaparé la présence de Twitter dans le système de routage mondial. Selon les spéculations autour de cet incident, l’opérateur tentait de mettre en place une annonce BGP (Border Gateway Protocol) interne dans le but de rediriger tout le trafic destiné à Twitter. Mais cette annonce, censée rester sur les réseaux internes, a été divulguée et diffusée sur le reste de l’Internet. Le détournement n’a pas causé les ravages escomptés en raison de l’adoption généralisée d’une pratique de sécurité du routage : la vérification de l’origine de la route RPKI. Cela montre à quel point il est important que les parties prenantes prennent au sérieux les pratiques de sécurité du routage et que des initiatives comme MANRS peuvent faire la différence en cas de conflit.
- Top Categories for New Russian Internet blocks (OONI Anomalies) (30 mars – en anglais uniquement) : Nous avons constaté que la censure des sites Web sur les réseaux russes avait augmenté à mesure que la guerre progressait. Certains signes indiquent également que la qualité globale de l’Internet russe s’est détériorée, avec une hausse des échecs de chargement suggérant une augmentation de l’encombrement du réseau.
- Investigated Internal Hijacks for Content Providers on Russian Networks (1er avril – en anglais uniquement) : Recourir aux attaques de routage pour censurer les réseaux sociaux est-il la méthode de prédilection de la Russie ? Il semblerait que ce soit le cas, mais cette méthode n’est pas toujours aussi efficace.
- M-Lab Speedtest: What’s Going on in Ukraine? (6 avril – en anglais uniquement) : Alors que la guerre entre dans sa septième semaine, nous nous tournons vers l’Ukraine. L’Internet en Ukraine semble être assez résilient. Après une baisse initiale, les capteurs de mesure – les ordinateurs et les smartphones sur lesquels sont installées les sondes M-Lab pour effectuer des tests de mesure – ont été remis en ligne. Puisque les mesures sont effectuées par les utilisateurs finaux, les données M-Lab fournissent des informations utiles sur la situation sur le terrain par l’analyse des changements dans les mesures collectées.
Regardez notre chronologie des événements depuis le début de la guerre le 20 février :
20 February
Start of conflict
22 February
Anomalies increasing through Russian networks
26 February
Russia starts blocking a set of social networks
28 February-1 March
Russian networks disconnected from IXPs:
AS57629 (LLC IVI.RU), AS42861 (Foton Telecom CJSC), AS47626 (Timer, LLC)
4 March
HTTP/3 and QUIC blocking
8-15 March
Russian networks disconnected from IXPs:
AS57363 (CDNvideo LLC), AS8641 (LLC Nauka-Svyaz), AS35598 (Inetcom LLC), AS60764 (TK Telecom), AS60388 (Limited Liability Company Transneft Telecom)
19 March
Mariupol is cut off the Internet
28 March
TComm (AS8342) leaked a prefix belonging to Twitter (AS13414)
La résilience d’Internet est essentielle pour que les gens restent en ligne
Alors que nous entrons dans le troisième mois de guerre, il est encore difficile de formuler des conclusions définitives sur l’état de l’Internet en Ukraine et en Russie à partir de ces données. Le blocage du protocole QUIC conduira-t-il à l’ossification de l’Internet en Russie lorsque la technologie stagne et que l’innovation s’arrête ?
La mauvaise pratique de blocage de contenu par détournement de routage se limitera-t-elle à la Russie ? Si non, quel sera l’effet sur l’Internet mondial ? L’Internet en Ukraine a fait preuve d’une étonnante résilience jusqu’à présent, en partie grâce à l’architecture distribuée de l’Internet. La maintiendra-t-il ou y aura-t-il un point de basculement où il ne sera plus en mesure de le faire ? Nous continuerons à analyser les données pour le découvrir.
L’Internet est, entre autres, un instrument de paix. Tout le monde, en tout lieu, devrait y avoir accès, quelles que soient les actions de son gouvernement.
Rejoignez-nous alors que nous continuons à observer et à surveiller l’Internet, afin de le protéger à l’avenir.
Crédit image : Hans Isaacson sur Unsplash