Atelier à Bruxelles : Découvrez ce que fait l’Internet Society pour empêcher les propositions nuisibles Thumbnail
Mode de fonctionnement du réseau Internet 19 décembre 2022

Atelier à Bruxelles : Découvrez ce que fait l’Internet Society pour empêcher les propositions nuisibles

Par David FrautschySenior Director, European Government and Regulatory Affairs

Le 6 décembre 2022, l’Internet Society a organisé un atelier à Bruxelles pour discuter de l’une des questions les plus sensibles du secteur de la gouvernance de l’Internet. Il s’agit de la revendication des plus grands opérateurs télécoms européens d’un comportement déloyal de la part de certains fournisseurs de services et de contenu qui doit être traité par une intervention réglementaire.

Ce débat a retenu l’attention de la Commission européenne. Elle analyse les options politiques, notamment l’une des réglementations les plus dangereuses, l’expéditeur-parti-payeur, qui entraîne une moins bonne expérience utilisateur et risque de conduire à la fragmentation d’Internet. La situation actuelle en Corée du Sud, seul pays à avoir promulgué cette réglementation, témoigne clairement de son caractère nuisible. Il est impératif que les responsables politiques européens en prennent bonne note.

En préparant cet atelier, nous voulions donner la parole à ceux qui sont souvent ignorés dans ce débat, mais qui sont pourtant des acteurs essentiels. Tant la Commission européenne que les plus grands opérateurs de télécommunications ont tendance à présenter ce sujet comme une discussion entre eux et les fournisseurs de contenu. Cette approche est restrictive, car les impacts de la régulation du trafic Internet vont bien au-delà de ces deux parties. Ils affectent chaque utilisateur européen d’Internet et chaque entreprise de la chaîne de valeur Internet, et ont un impact négatif direct sur les droits des citoyens. C’est pourquoi nous avons organisé un débat entre le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), i3D.net, une entreprise qui fournit une infrastructure pour le secteur des jeux, et epicenter.works, une organisation de défense des droits civils.

Avant le débat, Olaf Kolkman, de l’Internet Society, a ouvert la séance présentant une description technique (sans l’être trop) du fonctionnement de l’Internet, et fournissant des précisions sur l’échange de trafic et l’interconnexion. Ce n’est qu’en comprenant ce à quoi nous avons affaire que nous pouvons en discuter utilement. Ensuite, j’ai présenté un bref panorama de l’impact de la réglementation expéditeur-payeur en Corée du Sudafin de mettre en évidence comment cette réglementation, en conflit direct avec la neutralité du réseau, a contribué à la dégradation de l’expérience Internet, en provoquant des dysfonctionnements, en augmentant les coûts pour les acteurs du marché et en réduisant la qualité et l’évolution des services Internet.

Au terme de nos présentations, les participants ont participé à un débat animé avec le public. Ils ont réfuté l’idée fausse selon laquelle les fournisseurs de contenu sont les moteurs du trafic. Au contraire, les utilisateurs génèrent du trafic lorsqu’ils soumettent des demandes, que les serveurs remplissent. Les utilisateurs paient déjà les fournisseurs de services Internet pour l’exécution de ces demandes et le trafic qu’elles créent. Une autre idée fausse discutée était le « parasitisme » des fournisseurs de contenu. En réalité, tant les utilisateurs d’Internet que les fournisseurs de contenu paient les fournisseurs de services Internet pour les connecter aux nombreux réseaux qui composent l’Internet. Autrement dit, les fournisseurs de contenu ne parasitent pas les fournisseurs de services Internet, pas plus que les fournisseurs de services Internet ne parasitent les autres réseaux. (Le rapport préliminaire de l’ORECE sur ce sujet arrive également à ces conclusions).

Thomas Lohninger, d’epicenter.works, a souligné l’importance de préserver la conformité à la loi dans ce domaine. En effet, la Commission européenne a annoncé qu’elle enverrait un questionnaire ciblé, réservé aux opérateurs télécoms et aux fournisseurs de contenu. Il est important d’inclure toutes les parties prenantes dans cet important débat. M. Lohninger s’est également inquiété de la menace directe qui pèse sur le principe de neutralité du réseau. En fonction de la proposition avancée par la Commission, et de sa mise en œuvre, la neutralité du réseau risque d’être supplantée par les demandes des opérateurs télécoms, à leur propre avantage, et au détriment de l’expérience Internet et des droits en ligne de tous les citoyens européens. Epicenter.works a publié un document très utile expliquant les mythes autour des frais d’accès au réseau.

Martijn Schmidt, de i3D.net, a expliqué les raisons pour lesquelles les propositions qui imposeraient des contrats d’appairage payants entre chaque fournisseur de services Internet et chaque fournisseur de contenu sont intenables en raison de leur échelle. Cette intervention réglementaire dure aurait plutôt pour effet de cimenter la domination des grands fournisseurs de contenu, puisqu’ils seraient en mesure de gérer les charges administratives qu’impliqueraient ces contrats. M. Schmidt a ajouté que son entreprise avait décidé de renoncer à déployer des infrastructures sur le territoire sud-coréen. Au lieu de cela, elle dessert les clients sud-coréens depuis le Japon pour contourner ce qu’elle considère comme des charges coûteuses et inutiles. Il affirme que sa société changerait immédiatement d’avis si les dispositions relatives à l’expéditeur-payeur étaient abrogées. M. Schmidt a également fait valoir que si ce type de réglementation venait à être imposé dans l’Union européenne, le Royaume-Uni deviendrait pour de nombreuses entreprises un choix naturel de délocalisation, afin d’échapper à ces contraintes. Il a appelé cet effet un « dividende du Brexit », qui pourrait engendrer des défis en matière de données transfrontalières et rendre l’écosystème Internet plus fragile, en raison d’éventuels dommages aux infrastructures de fibres sous-marines. Enfin, il a évoqué les accusations de parasitisme, et les a contrées en citant des informations publiques sur les paiements, figurant dans les rapports financiers annuels de divers fournisseurs d’infrastructure néerlandais, disponibles sur le site Web de la Chambre de commerce néerlandaise.

Cláudio Teixeira, de l’association de consommateurs BEUC a exprimé très clairement son message : Le BEUC ne prend pas parti, ni pour les opérateurs télécoms, ni pour les fournisseurs de contenu Son objectif est de défendre les utilisateurs d’Internet. Les consommateurs sont très inquiets des conséquences des mesures susceptibles d’affecter leur expérience et de faire grimper leurs factures. En effet, toute imposition d’obligations de paiement aux fournisseurs de contenu sera probablement répercutée sur les clients, d’une manière ou d’une autre. M. Teixeira s’est dit préoccupé par le fait que certaines mesures pourraient conduire à une rentabilité accrue pour les opérateurs de télécommunications, sans que les avantages soient répercutés sur les consommateurs. Ces enjeux, ainsi que d’autres, sont traités dans le rapport du BEUC intitulé « Infrastructure de connectivité et Internet ouvert« .

Une question du public a amené les intervenants à discuter de l’équilibre du trafic. Lors de la tentative d’identification des ratios d’échange qui seraient considérés comme équitables par les telcos, il a été avancé que dans la plupart des cas, ceux-ci seraient de l’ordre de 1:1,8 à 1:3. Pourtant, même lorsque les rapports d’échange se situent dans cette fourchette et répondent à toutes les exigences de la politique publiée par les opérateurs, les demandes d’appairage sont souvent refusées sur la base de détails techniques non fondés.

Dans l’ensemble, le débat a été animé, avec de nombreuses questions de l’auditoire. Les risques à venir sont énormes, nous devons donc encourager le dialogue, éduquer les gens sur les conséquences de mauvaises politiques, et promouvoir des solutions afin de garantir que l’Internet reste ouvert, connecté au niveau mondial, sécurisé et digne de confiance. Dans le cas contraire, les politiques européennes qui nuisent à l’Internet prendraient facilement de l’ampleur dans le monde entier, fracturant la technologie sur laquelle nous comptons tous. En travaillant ensemble avec notre communauté et d’autres parties prenantes, nous devons montrer la bonne voie à suivre.

Clause de non-responsabilité : Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et peuvent ou pas refléter la position officielle de l’Internet Society.

Articles associés

Mode de fonctionnement du réseau Internet 28 septembre 2022

En cas de sanctions, les citoyens peuvent se voir refuser l’accès à Internet au moment où ils en ont le plus besoin.

Les mesures politiques visant à empêcher les habitants d'autres pays d'accéder à l'Internet pourraient créer un dangereux précédent qui...

Mode de fonctionnement du réseau Internet 26 mai 2022

Vieilles règles dans nouvelles réglementations – Pourquoi « l’expéditeur-payeur » est une menace directe pour l’Internet

Nous avons publié ce mois-ci une nouvelle note d’impact Internet sur « les règles d’interconnexion de la Corée du Sud »....

Mode de fonctionnement du réseau Internet 14 avril 2022

L’engagement des États-Unis, de l’UE et du G7 ralentira le Splinternet, toutefois des efforts supplémentaires sont nécessaires

L’Internet Society se réjouit de l’engagement des États-Unis, de l’UE et du G7 visant à épargner les services de...